L’Afrique, un continent d’opportunités ( dans HBR )

A en croire le discours de certains médias, l’Afrique serait un lieu d’ignorance sans espoir où le chaos côtoie la famine et la pauvreté. Pourtant, depuis quelques temps, des observateurs économiques du monde entier y voient le prochain marché à fort potentiel. L’Afrique serait prête à reprendre le flambeau de l’Asie dont la croissance ralentit, avec des marchés arrivant à saturation et une compétition locale de plus en plus féroce.

Un potentiel que la Chine n’a pas tardé à exploiter : entre 2003 et 2011, ses investissements en Afrique ont été multipliés par 30, passant de 491 millions de dollars à 15 milliards de dollars selon l’Africa Research Institute. Si les partenaires commerciaux européens traditionnels de l’Afrique, à savoir la Grande-Bretagne et la France, sont restés à la traîne, la Chine est aujourd’hui son partenaire commercial bilatéral phare avec un volume commercial total de plus de 166 milliards de dollars en 2011 (lire aussi la chronique « La Chine de plus en plus présente en Afrique : aubaine ou fléau ? »).

Preuve, s’il en fallait, que l’Afrique a beaucoup à offrir : le continent possède environ 40% des réserves mondiales de ressources naturelles et 60% de terres agricoles non exploitées. Il abrite un milliard d’habitants avec un pouvoir d’achat en hausse constante, une population jeune et des actifs de plus en plus nombreux, ainsi qu’une classe moyenne plus importante qu’en Inde à l’échelle du continent. Certains États africains comptent parmi les pays qui connaissent les plus fortes croissances du monde, comme le Gabon, le Botswana et l’Angola. La plupart de ces pays ne dépendent d’ailleurs pas ressources naturelles : l’année dernière, les deux tiers de la croissance de l’Afrique tenaient à l’augmentation des dépenses de consommation. Et presque la moitié des citoyens y vivent en ville. Au-delà des ressources naturelles, de la terre et de la force de travail, l’Afrique offre de multiples opportunités (lire aussi l’article « Comment le fondateur de Celtel a créé un business sur le continent le plus pauvre »)

De l’épicerie à l’hypermarché

Selon le rapport « Retail in Africa : Still the Next Big Thing », plusieurs pays représentent un vaste marché pour la grande distribution. C’est le cas du Gabon avec son PIB par habitant de 21 600 dollars et sa classe moyenne nouvellement formée. Les plus petites nations africaines, comme le Botswana et l’Angola, offrent ainsi de plus en plus de possibilités.

Mais elles existent aussi à plus grande échelle. Le Nigeria, avec ses 178 millions d’habitants, affiche par exemple un secteur de la grande distribution sous-développé : les supermarchés modernes ne représentent que 1% du total des dépenses d’achat car le marché reste largement dominé par les magasins informels et les commerces de proximité.

Signes extérieurs de richesse

La culture et les habitudes des populations africaines ont changé. L’exceptionnelle croissance économique du Nigeria, par exemple, a entraîné une augmentation de la consommation dans le pays, et en particulier celle des produits symbolisant une appartenance à la classe moyenne. D’après notre étude « How Africa offers opportunities beyond land, labour and commodities », le champagne connaît ainsi une croissance considérable, avec une hausse des importations depuis la France. Les dépenses consacrées au champagne ont augmenté d’environ 26% entre 2007 et 2012. Et les produits alimentaires de luxe sont les signes d’une transformation culturelle et d’un passage vers un mode de consommation plus sophistiqué.

Lors d’une conférence sur les marchés émergents à l’ESCP Europe, Feyi Olubodun, le patron d’Insight, une grande agence de communication, a souligné que les Nigérians, et en particulier les plus aisés, achètent pour eux-mêmes mais aussi pour les membres de leur famille, ce qui est un moyen d’afficher leur statut social. Puisque le pays devient plus prospère, de plus en plus de produits haut de gamme vont sûrement apparaître sur le marché afin de satisfaire une classe moyenne toujours plus nombreuse et exigeante.

Pendant de nombreuses années, Apple a considéré que le Nigéria était trop pauvre pour être un marché séduisant. Samsung a alors eu le champ libre pour devenir le leader de la téléphonie mobile dans le pays : l’entreprise sud-coréenne s’est rendue compte que même si le pays était relativement pauvre – avec un PIB par habitant de seulement 6 000 dollars – un individu pouvait facilement rassembler les fonds nécessaires auprès des membres de sa famille. Ainsi, même les adolescents désargentés peuvent mettre suffisamment de côté grâce à leurs parents plus fortunés et s’acheter un téléphone portable onéreux. Résultat : près de 70% des mobiles haut de gamme sont vendus à des membres de la classe moyenne.

Aussi anecdotique que l’observation précédente puisse être, elle a le mérite de rappeler qu’il ne faut pas ignorer les marchés Africains en se basant seulement sur des statistiques. Nous devons essayer de comprendre ces marchés, en travaillant le plus possible avec des spécialistes locaux. Les dynamiques de consommation en Afrique sont différentes et demandent une étude spécifique. Un autre exemple a été évoqué lors de cette conférence à l’ESCP Europe : Lucozade est devenu le leader du marché pourtant morose des boissons sans alcool au Nigeria, en comprenant quand et où les consommateurs en auraient besoin et l’apprécieraient le plus. En vendant ses boissons énergisantes fraîches au bord de la route, la marque a augmenté sa popularité parmi les professionnels régulièrement de longues heures dans les embouteillages. Dans les esprits, Lucozade a ainsi été associé à des moments rafraîchissants.

Innovation

Contrairement à ce que certains croient, les pays africains peuvent aussi être sources d’innovation. L’une des plus connues et des plus brillantes est M-Pesa. Lancée en 2007 par le plus gros opérateur téléphonique du Kenya, l’objectif initial de M-Pesa était de rendre possible le remboursement de prêts depuis son téléphone mobile. C’est en étendant le service au transfert d’argent en général que M-Pesa a rencontré un franc succès. Les adhérents peuvent alors se virer de l’argent entre eux par l’intermédiaire de leur téléphone portable, et l’utiliser aussi pour retirer de l’argent à l’épicerie du coin. Si le système est devenu extrêmement populaire, c’est à cause des tarifs élevés des transferts d’argent via les banques, mais aussi car M-Pesa offre un moyen sûr de stocker son argent.

Et les bénéfices vont au-delà de la simple commodité : une étude intitulée « Utilisation des services financiers mobiles par les pauvres : observations concernant le recours à M-Pesa et son impact » montre que les revenus de certains ménages kenyans a augmenté de 5 et 30% suite à l’adoption du service M-Pesa. Son succès a conduit à son exportation vers d’autres pays africains mais aussi jusqu’en Afghanistan et en Inde. Grâce à ce système, selon The Economist, il est plus facile de régler sa course en taxi à Nairobi qu’à New York ! Et nombre de start-up, au modèle fondé sur la technologie de M-Pesa, ont vu le jour au Kenya.

Les cultures et les dynamiques de consommation sont si différentes en Afrique qu’il est fort probable que de nombreuses innovations y émergent dans l’avenir. De quoi tourner la page d’une Afrique vue comme un fournisseur de matières premières, de terres et de main d’œuvre pour en écrire une nouvelle, pleine de promesses qui attendent d’être davantage exploitées.

chroniques de : Mark Esposito, Terence Tse

Population mondiale: de l’explosion à l’implosion ?

La population mondiale vit 3 transitions uniques. Avant l’an 2000, les jeunes ont toujours été plus nombreux que leurs aînés. Depuis quelques années, c’est l’inverse. Jusqu’à 2007, les ruraux l’emportaient en nombre sur les citadins.

A partir des années qui viennent, ce sera l’inverse. Depuis 2003, la majorité des hommes vivent dans un pays ou une région du monde où la fécondité est inférieure à 2,1 enfants par femme, niveau qui permet le strict remplacement des générations. La fécondité médiane est passée en 50 ans de 5,4 enfants à 2,1. L’avenir de la population mondiale sera marqué par 6 évolutions majeures, dont nous venons de discuter aux Entretiens du XXIe siècle, organisés par Jérôme Bindé à l’Unesco sur le thème « Population : de l’explosion à l’implosion ? ». La croissance de la population au cours de la seconde moitié du XXe siècle aura été l’un des événements majeurs de l’histoire. Même si elle se ralentit, cette croissance considérable est loin d’être achevée. D’ici à 2050, la population mondiale, qui est aujourd’hui de 6,6 milliards, pourrait atteindre 9,2 milliards, selon l’hypothèse moyenne des Nations unies. Cette croissance ralentit fortement, du fait de la transition démographique. Son accélération au Sud — même en Afrique, on en perçoit les premiers signes dans nombre de pays — montre bien qu’il n’y a pas de fatalité dans les problèmes de population. Le XXe siècle aura été pour l’homme celui de l’apprentissage de son destin. Après avoir différé la mort, l’être humain en vient à maîtriser la vie, en choisissant un nombre d’enfants conforme à ses souhaits. Certes, le déclin de la fécondité reste très inégal selon les régions et les pays. Il est en proportion avec l’éducation, le niveau de formation, notamment celui des filles, et le développement. Pourtant, la transition démographique a aussi lieu dans nombre de pays où les femmes n’ont qu’un accès limité à l’éducation et au marché du travail. Selon les démographes, ce sont les écrans de télévision qui ont promu une nouvelle compréhension de la condition féminine et une certaine idée de la liberté. La quasi-totalité de l’accroissement de la population, d’ici à 2050, aura lieu dans les pays en développement. C’est donc à un bouleversement de la « carte démographique » que l’on va assister. Alors qu’en 1950 la population du Sud représentait à peu près le double de celle du Nord, ce sont 86% de la population mondiale qui vivront en 2050 au Sud ! Si les tendances actuelles se poursuivent, la totalité de l’accroissement de la population, d’ici à 2050, aura lieu dans les villes. La révolution urbaine en cours est titanesque : il va falloir édifier en moins d’un demi-siècle l’équivalent de 3000 villes d’un million d’habitants ! De profondes inégalités affectent en outre la population mondiale : la population humaine est d’abord très inégalement répartie, 10% des terres émergées accueillant plus de 60% des habitants de la planète. Quant à l’espérance de vie à la naissance, elle varie encore presque du simple au double entre les pays les plus avancés et certains des pays les plus pauvres, tels que la Sierra-Leone ou l’Afghanistan. La mortalité infantile a considérablement diminué : mais sa réduction a été bien plus lente dans quelques pays d’Asie et surtout en Afrique. Un dernier déséquilibre, une dernière inégalité va peser lourd : le vieillissement, qui résulte du déclin de la fécondité et de la hausse de l’espérance de vie. Il affectera très différemment les sociétés. En 2050, près d’une personne sur 3 aura plus de 60 ans au Nord, et une personne sur 5 dans les pays en développement. Au Nord, un spectre hante les sociétés vieillissantes : la dépopulation qui pourrait gravement affecter, en l’absence de compensations migratoires, nombre de pays au cours des prochaines décennies. De plus, les pays les plus riches risquent de connaître une perte de dynamisme global, ainsi que des problèmes de relations entre générations, de financement des régimes de sécurité sociale et de retraites et d’éthique (faudra-t-il prolonger au maximum la vie ou assurer à tous une vieillesse de qualité ?). Au Sud, se posera une question cruciale : comment répondre au vieillissement quand font défaut les systèmes de protection sociale fondés sur l’Etat providence (assurance-maladie, systèmes de retraite), et quand, du fait de la modernisation et de l’urbanisation, les solidarités sociales et familiales se délitent ? Mais d’ici à quelques décennies, c’est l’ensemble de la population mondiale qui pourrait lentement imploser, car il n’y a pas la moindre raison de croire que la chute de la fécondité, une fois amorcée, s’arrête comme par miracle au niveau de remplacement. Que de défis à relever en attendant — et j’ai à peine évoqué celui des migrations internationales — en termes de sécurité alimentaire, d’emploi, de lutte contre la pauvreté, de santé publique, de logement, d’infrastructures, d’environnement et de promotion d’un développement durable ! Dès 1795, Condorcet a eu l’extraordinaire intuition que le danger de la surpopulation, où il voyait le risque d’une « diminution du bonheur », pouvait être maîtrisé grâce une hausse de la productivité, à une meilleure gestion et prévention des déchets et à un essor de l’éducation, notamment celle des filles. Face aux menaces que la population fait peser sur l’environnement, Condorcet avait déjà anticipé la « dématérialisation » de la croissance : « Le même produit de l’industrie, écrivait-il, répondra à une moindre destruction de productions premières, ou deviendra d’un usage plus durable. » Face à ces défis, où sont les priorités ? Seul l’essor d’authentiques sociétés du savoir nous permettra de faire face tant à l’accroissement de la population qu’à son vieillissement. Promouvoir une croissance équitable et un développement fondé sur l’intelligence, la science, les technologies, modifier nos styles de vie et nos modes de production et de consommation seront d’absolues nécessités. Mais la priorité des priorités sera bien sûr l’éducation. L’éducation de base d’abord, et notamment celle des filles, car c’est le meilleur contraceptif. Selon une étude, dans certaines régions où les filles sont exclues de l’enseignement secondaire, une femme a en moyenne 7 enfants. Lorsque le taux d’inscription des filles passe à 40%, cette moyenne descend à 3 enfants. Mais l’éducation pour tous, tout au long de la vie, devra aussi se voir reconnaître une priorité essentielle, car c’est elle qui est la réponse au vieillissement des populations et à l’élévation de l’espérance de vie. Face à l’obsolescence croissante des savoirs, à la nécessité de se recycler et de changer de métier, à l’impératif de rester « en forme », la demande d’éducation va de plus en plus s’étaler tout au long de l’existence. C’est au fond une bonne nouvelle : certes la population mondiale va vieillir, mais l’être humain restera jusque tard dans sa vie dans une position de jeunesse symbolique, puisqu’il ne cessera d’apprendre.

L’auteur est Directeur général de l’Unesco

Koichiro Matsuura

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